Mood Indigo

Publié le mercredi 14 octobre 2025

Autant le dire tout de suite: l’une des raisons pour entamer encore une nouvelle tentative de blog, c’est que ça ne va pas très fort en ce moment. Mais qu’on se rassure aussitôt : ce n’est pas un appel au secours, ni un énième billet sur l’expérience de la dépression ou du burnout. À vrai dire, la prise de conscience généralisée sur la santé mentale, au demeurant un progrès dont on ne peut que se réjouir, a quelque peu retiré la possibilité de parler de dépression au sens plus ordinaire, désormais galvaudé.

Quoi de plus ordinaire, de plus statistique, que mon état ? Les premières années en tant que parent sont dures (… mais peut-être la suite l’est-elle tout autant !). La quarantaine est souvent la décennie où les mauvaises nouvelles pleuvent. L’actualité enfin n’offre guère de répit, si elle n’achève pas de rendre pessimiste.

Je ne parviens même pas à saisir si je suis simplement fatigué, malheureux ou inquiet. Le premier ? Mais quelle fatigue; je vois tous les jours des gens dans des situations bien plus éprouvantes physiquement, ou dont les corps fonctionnent encore moins bien que le mien. L’expérience de la fatigue exceptionnelle des premiers mois de vie parentale, rend toute autre fatigue triviale. Malheureux ? À quel titre, exactement ? Je n’ai pas de tragédie particulière qui me touche. Ce doit donc être au fond, l’inquiétude.

“Shiei chevauchant une carpe au-dessus des mers”, par Yoshitoshi (芳年), dernier maître du style ukiyo-e, luttant contre les techniques modernes, et dépressif - dans un sens psychiatrique - notoire. Image rendue publique par le LACMA.

Je ne parviens pas de fait, ces derniers temps, à me déprendre de l’impression de catastrophes imminentes. Je crois avoir toujours eu une petite tendance à envisager le pire, mais à la fin de ma vingtaine, je suis arrivé à devenir optimiste - quitte à ne l’être qu’à long terme, n’en déplaise à une formule célèbre de Keynes. Mais cette capacité semble s’être enrayée, et je ne suis plus à même de rationaliser l’impression que nous allons vers des effondrements. Dans le monde; dans la vie politique nationale; dans ma vie personnelle.

Cela fait bien longtemps, comme le savent ceux qui me connaissent, que je n’ai plus la fibre révolutionnaire; mais le désir de stabilité atteint chez moi un stade qui confine à la paralysie. J’ai l’impression de faire l’inverse d’une crise de la… je cherchais l’expression exacte, et je vois que Wikipedia propose « crise de milieu de vie », puisque la quarantaine comme la cinquantaine sont souvent évoquées comme moment d’occurence. Les seuls changements que je pourrais envisager - si je le pouvais sans affecter ceux avec qui je vis - iraient tous dans le sens de trouver plus de calme et de silence.

Ce matin, à l’extérieur d’une supermarché, une femme qui m’a toujours paru antipathique et qui traîne souvent par là le matin, discutait politique avec les employés. « Et il remet Lecornu, mais il est pas bien ! Il a pas compris ! », disait-elle d’abord, résumant probablement l’impression générale. Plus loin, alors même que je me croyais pourtant hors de portée d’oreille, je l’entend dire: « Ce qu’il nous faudrait un président comme Trump. » J’étais frappé de rencontrer ce qui m’apparaissait un cliché plus ou moins fantasmé, et je ne tire pas, à vrai dire, de conclusions socio-politique de cette anecdote. Juste une grande lassitude.